« Dommages environnementaux et crises sociales:

« Dommages environnementaux et crises sociales de l’agrobusiness à capitaux européens

tout autour de la Méditerranée »


 

 

Ce thème concerne le développement accéléré depuis les années 80 du secteur de l’agriculture industrielle des fruits et légumes sous serres plastiques dans plusieurs pays méditerranéens, depuis le sud du Maroc à l’ouest jusqu’à la vallée du Jourdain à l’est, en passant par le nord du Maroc, l’Andalousie, les Bouches du Rhône et le Vaucluse en France, les plaines côtières de Campanie et de Calabre en Italie, la Crète, et sans doute d’autres lieux dans les Balkans et en Turquie.

 

Le développement accéléré de ce secteur hautement capitalistique, financé par des capitaux principalement européens, pose de nombreux problèmes intimement liés à la mise en oeuvre de plus en plus accentuée des pratiques néo-libérales (liberté d’investissement pour les capitaux étrangers, libre-échange et application sans aucune réserve réglementaire du principe de concurrence « libre et non faussée », abaissement et même suppression des garanties du droit du travail etc…).

 

  • En premier lieu, l’extension rapide des surfaces occupées par ces entreprises capitalistes ruine la paysannerie aussi bien dans les pays de production (en concentrant par son influence politique toutes les aides publiques à l’agriculture) que dans les pays de consommation (en pratiquant des prix de vente inférieurs aux seuils de subsistance des exploitations paysannes). Ce secteur apparaît ainsi comme l’obstacle principal au respect de la souveraineté alimentaire de chaque peuple et comme un facteur destructif de toutes les formes d’agriculture de proximité.

 

  • D’autre part, les entreprises de l’agro-business, elles-mêmes engagées dans une compétition permanente, et contraintes d’utiliser une main d’oeuvre abondante nécessaire aux techniques de l’horticulture intensive, pratiquent systématiquement une surexploitation de cette main d’oeuvre, en majorité composée d’ouvriers et d’ouvrières migrants, parfois sans papiers, soumis à des conditions de vie et de travail dégradantes et souvent victimes d’un racisme institutionnalisé pouvant conduire à de véritables pogroms comme on l’a vu à El Ejido en 2000 et tout récemment en Italie du sud, dans le but de les marginaliser et d’empêcher toute forme de solidarité entre eux et la population des régions de production. Ces entreprises sont donc aussi un facteur destructif de la cohésion sociale et des liens de solidarité humaine.

 

  • En troisième lieu, l’agro-business est un facteur de dégradation de l’environnement. Il consomme de grandes quantités d’eau pour irriguer les serres et épuise rapidement les ressources des régions où il s’installe, comme on le voit en Andalousie et dans le Souss. Par ailleurs l’emploi intensif d’engrais et de produits phytosanitaires charge le sol en éléments chimiques nocifs et pollue aussi les nappes phréatiques. Enfin cette agriculture intensive orientée vers l’exportation de ses produits frais par camions sur des milliers de kilomètres pour les marchés urbains de l’Europe occidentale contribue à produire massivement des gaz à effet de serre. Tout cela pour des aliments dont plusieurs études ont montré qu’ils étaient également touchés par la pollution chimique.

 

  • Enfin ce secteur d’agriculture capitalistique s’organise comme un immense réseau relié par des flottes de camions considérables aux circuits d’approvisionnement des grandes surfaces de distribution qui assurent la grande majorité de la commercialisation des biens de consommation courante en Europe occidentale. En jouant sur les différences de niveau de vie entre le sud et le nord et en poussant la productivité de ses lieux de production au delà des contraintes des milieux naturels et des droits de l’homme, il permet aux capitaux européens qui le financent l’encaissement de gros profits, mais en bloquant toute perspective de développement des économis locales et même nationales des pays où il installe ses serres plastiques.

 

Il est donc important pour le mouvement ATTAC de réfléchir aux moyens de s’opposer aux dégâts produits par cet agro-business méditerranéen et de trouver des perspectives alternatives à son développement :

  • comment réparer les dommages qu’il porte à l’environnement (pollution des sols, épuisement des ressources en eau, transport d’aliments de qualité douteuse sur des milliers de kilomètres) ?

  • comment éviter la ruine et la marginalisation des paysans qu’il provoque tant au nord qu’au sud de la Méditerranée et favoriser l’intégration de ces paysans dans des circuits courts de production et de commercialisation d’aliments sains ?

  • comment faire respecter des conditions de travail dignes et des salaires décents pour les ouvriers agricoles au nord comme au sud de la Méditerranée ?

 

Pour lancer le débat sur ces différentes questions, sera organisée une présentation liminaire du film de Souad Guennoun, cinéaste marocaine : Agrobusiness européen dans le Souss marocain (35 minutes)

Ce film donne la parole à un petit paysan, à un ingénieur agronome et à des ouvriers et ouvrières agricoles de cette province du Maroc. Ce film est à recommander pour lancer les débats sur les capitaux européens qui développent l’agro-industrie pour produire sous serres plastiques des fruits et légumes ensuite transportés sur des milliers de kilomètres vers nos hypermarchés. Le film dénonce les effets destructeurs de ces capitaux sur l’environnement local (notamment sur les ressources en eau), il montre comment ils ruinent les petits paysans et imposent des conditions de travail dégradantes aux 60 000 ouvriers et ouvrières agricoles du prolétariat surexploité dont ils ont entraîné le développement dans cette province.

La commission Méditerranée incite les CL d’ATTAC à utiliser ce film pour montrer comment l’agrobusiness conduit à la ruine de la petite paysannerie au Maroc et en Europe, à une grave détérioration de l’environnement et à une surexploitation intolérable des travailleurs dans les serres de l’agriculture intensive des fruits et légumes, sans parler de la qualité alimentaire de ces productions.

 

Pour vous procurer ce reportage, prendre contact avec Marc Ollivier (ATTAC 38)

courriel : marc.oll@wanadoo.fr – tél: 04 76 73 12 35

 

 

Dans le sud du Maroc, les paysans de la plaine du Souss sont victimes du développement accéléré de l’agriculture industrielle des fruits et légumes

 

Au début de cette année, mon attention a été attirée par un mail provenant des syndicats agricoles du Souss marocain appelant à soutenir les luttes des ouvriers dans les grandes exploitations de production de fruits et légumes sous serre. Profitant d’un séjour dans le sud du Maroc, j’ai cherché à me renseigner sur ces conflits sociaux. Pour atteindre la vallée du Souss en partant de Marrakech, il faut traverser le Haut Atlas : on arrive dans la plaine de Taroudant et Agadir, bordée vers le sud par la chaîne de l’Anti-Atlas et bordée par l’océan Atlantique. C’est le troisième centre de la culture berbère au Maroc et une région qui a toujours pesé lourd dans l’histoire du pays.

Le Protectorat français avait déjà implanté des domaines d’agriculture moderne dans le Souss, surtout pour la production d’agrumes, mais depuis l’indépendance du pays et surtout depuis les années 80, c’est le développement accéléré d’une agriculture intensive des fruits et légumes sous serres plastiques qui a transformé la région.

Elle est ainsi devenue le centre principal de l’agro industrie au Maroc: avec 28.000 hectares de plantations d’agrumes et près de 18.000 hectares de production maraîchère intensive elle assure 60% des exportations marocaines d’agrumes et 80% des exportations de primeurs. C’est l’apport de capitaux d’origine européenne (français, espagnols et autres) qui a permis cette croissance rapide de la production et des exportations marocaines, dont nous trouvons les résultats dans les rayons de fruits et légumes de toute l’Europe grâce à un système de transport adapté aux volumes produits. Comme on peut s’en douter, ces investisseurs retirent des profits substanciels de ces activités, comme c’est le cas dans de nombreux autres pays méditerranéens, mais les discussions que j’ai pu avoir sur place tant avec les syndicalistes qu’avec les cadres techniques de ces entreprises montrent que le bilan de ce type de croissance pose de sérieux problèmes.

Pour l’avenir de la région, le plus grave problème est celui de l’épuisement des ressources en eau: dans cette région semi-aride, l’irrigation est une nécessité, mais les ressources s’épuisent avec des prélèvements anarchiques dans les nappes phréatiques. Alors que les paysans marocains pouvaient trouver de l’eau il y a vingt ans dans des puits d’une dizaine de mètres, aujourd’hui les grandes exploitations sous serres plastiques vont la chercher avec des forages très coûteux entre 200 et 300 mètres de profondeur et la course au profit n’a pas permis d’imposer une discipline de ces prélèvements, qui font baisser dangereusement le niveau des nappes souterraines. La première conséquence de ce « pillage de l’eau » a été la marginalisation des petits paysans, qui n’ont pas les moyens de se payer de tels forages. Ils ont été obligés d’abandonner leurs exploitations et de se louer dans les fermes « modernes ». Mais pour l’avenir c’est un épuisement grave de la ressource qui se profile, à une échéance de moins de dix ans. Les investisseurs européens pourront repartir, une fois leurs profits obtenus, mais la population marocaine ?

Il y a aussi des conséquences immédiates, dont la principale est la situation très dure vécue par la main d’oeuvre: l’agro industrie des serres plastiques emploie dans le Souss-Massa 60 à 70.000 salariés dont 90% sont des migrants venus de toutes les régions du Maroc et parmi eux beaucoup de femmes, surtout employées dans les stations de conditionnement. Les grandes sociétés qui gèrent les exploitations, pour atteindre les taux de profit maximum, ne se soucient pas des conditions de travail et de vie de leurs ouvriers: ils sont payés en moyenne 5 euros par journée de travail et sont soumis à des conditions difficiles: transports dangereux en camions, milieux de travail confinés, souvent pollués par des produits chimiques, pratiquement sans aucun respect de normes d’hygiène et de sécurité. On relève un problème de harcèlement sexuel des ouvrières et même des accidents pour les femmes enceintes. La plupart de ces travailleurs, hommes ou femmes, sont célibataires, éloignés de leur famille; beaucoup sont divorcés et on m’a signalé que le Souss est la région du Maroc la plus touchée par le sida. Bref la situation sociale est catastrophique. L’avenir de ce prolétariat est sombre, car l’extension des accords de libre-échange entre l’Europe et les pays méditerranéens va faire peser sur eux, dans le contexte du capitalisme mondialisé, les contraintes de la fameuse « concurrence libre et non faussée » imposée par l’Union européenne, alors que la situation sociale est désastreuse dans l’ensemble du Maroc et que les gouvernants ce pays semblent décidés à tirer profit du très bas niveau des salaires et à ne pas se libérer de cet esclavage…

Ce qu’attendent de nous ces travailleurs, par leurs luttes actuelles et avec le soutien de leur syndicat, c’est notre solidarité pour contraindre leurs employeurs européens à appliquer le droit du travail marocain. Selon les syndicalistes, et malgré ses insuffisances, celui-ci n’est respecté que par 5 à 10% des employeurs, qui sont par ailleurs à la pointe des technologies de cette agriculture productiviste. Ils demandent le droit de se syndiquer, le droit de disposer d’une fiche de paie et d’être déclarés à la Sécurité Sociale (cette déclaration est laissée au libre arbitre des employeurs au Maroc). Ils demandent au fond que soit reconnue leur condition et leur dignité de salariés et ne sont même pas en mesure de revendiquer des améliorations de leur salaire et de leurs conditions de travail. C’est pour avoir soutenu des revendications aussi minimalistes que les ouvriers récemment syndiqués d’une entreprise à capitaux français gérant une trentaine d’exploitations de 20 hectares chacune, entièrement sous serre plastique, ont été licenciés.

Je pose la question: comment pouvons nous manifester concrètement notre solidarité avec ces travailleurs de l’agro-business, dont les actionnaires se comportent de la même façon tout autour de la Méditerranée ?